ISH conference platform, International Conference on Community and Complementary Currencies 2011

Font Size:  Small  Medium  Large

L’AMBIVALENCE MONETAIRE OU LA CONSTRUCTION SOCIALE DE LA MONNAIE

David Vallat, Cyrille Ferraton

Last modified: 2011-01-29

Abstract


Le primat du discours économique entraîne une perception de la monnaie comme un outil facilitant les échanges et qui est intrinsèquement neutre. Pourtant la monnaie représente la société à plusieurs niveaux. Pour ne considérer, pour l’instant, que la monnaie prise sous sa forme contemporaine, elle porte triplement la marque de la communauté de référence. Premièrement, les images et les inscriptions portées sur les pièces ou les billets symbolisent la culture, l’histoire de la société (du pays) considérée. Sans parler des différentes représentations de personnages historiques difficilement interchangeables entre pays, pourrait-on inscrire sur les billets américains le troisième terme du triptyque républicain, « fraternité » ? De même, pourrait-on imaginer sur un billet français une inscription du type In God We Trust ? Deuxièmement un billet de banque représente une créance sur la richesse d’un pays, créance qui est (troisièmement) garantie par l’autorité souveraine de ce pays.

La monnaie pour circuler doit être adossée à une souveraineté qui se porte garante de l’outil monétaire. Dès lors, se pose la question de la légitimité de cette souveraineté. Qu’est-ce qui la légitimise ? Le don. La force qui exerce sa souveraineté sur une communauté peut avoir donné la vie, la prospérité, le monde dans lequel on vit (tout ceci est généralement l’apanage des dieux) ou plus modestement une protection : protection de l’intégrité des personnes, justice, protection contre les maladies, la vieillesse, etc. Dans tous les cas la totalité sociale est fondée sur d’une part un don et de l’autre une dette. Le déséquilibre fonde la vie sociale[1]. Pour établir ce fait nous nous basons sur l’étude de sociétés anciennes, la notion de dette fondatrice ayant été observée dans un grand nombre de sociétés. Appréhender, avec un recul historique et/ou géographique, les réalités de la dette et de la monnaie permet de les concevoir sous un nouvel angle dans les sociétés occidentales : « la monnaie et la dette, bien que et parce que catégories issues des pratiques de nos sociétés, sont utilisables dans une réflexion plus vaste que celle qui porterait sur les seules sociétés à économie de marché »[2]. Un détour comparatif par l’histoire et l’ethnologie doit nous permettre de cerner le plus complètement possible ces catégories et d’établir leur caractère central dans le jeu social[3].

 

Nous nous attachons d’abord à montrer les différentes facettes de la dette et quels sont ses fondements. Ceci nous permet d’inscrire les relations humaines dans le registre de la finance (au sens de rapport de crédits et de dettes). La monnaie, en tant que dette circulante, ne peut être cantonnée à un intermédiaire neutre des échanges. Elle joue un rôle de lien social. Pourtant son usage est ambivalent car elle peut tout aussi bien soutenir la relation que la clore, selon que le paiement est compensatoire ou libératoire. La monnaie est l’outil privilégié du paiement des dettes. Elle est le reflet de la totalité sociale, de la société : elle est donc un construit social.

[1] Alors que l’on pourrait dire que depuis Smith et surtout Walras le courant dominant de la science économique repose sur une théorie de l’équilibre.

[2] Michel Aglietta, Jean Cartelier, 1998, p. 130.

[3] Cette démarche est à la base de l’ouvrage La monnaie souveraine (Michel Aglietta, André Orléan, éds, 1998). On peut voir notamment Jean-Michel Servet, 1998a, p. 289 sq. et Jean-Marie Thiveaud, 1998, p. 85 sq.